Alexandre et Vincent sont tous deux en formation au Chantier-école « Skol Ar Mor » à Mesquer (Loire Atlantique). Ce centre est l’un des deux qui forment en France des charpentiers de marine traditionnelle. Dans le cadre de leur formation, tous les élèves doivent effectuer chaque année six semaines de stage hors école. Alexandre et Vincent ont l’un et l’autre choisi de passer trois semaines au chantier de la Plagette, encadrés par des bénévoles de l’association « Voile latine de Sète et du Bassin de Thau ».
Tous deux ont de solides motivations, bien au-delà du projet de construire et restaurer des bateaux traditionnels. Vivre dans le domaine des bateaux, voyager et travailler avec son bateau, naviguer et tout cela dans le respect de la tradition. L’un voulait être plongeur, l’autre était machiniste de théâtre (du bois et des cordages, comme sur un bateau !).
Venir à Sète, à la Plagette, dernier chantier naval traditionnel, c’est découvrir un autre patrimoine, méditerranéen, différent de celui que côtoient nos stagiaires en Bretagne. C’est se familiariser avec des modes de construction inconnus. C’est partager des expériences avec des bénévoles passionnés. C’est découvrir de nouveaux bateaux, pointus à la poupe et à la proue ! C’est se familiariser avec d’autres gréements.
Quelle surprise pour Alexandre et Vincent, en travaillant sur le Loud, de découvrir des varangues, des membrures, un étambot, une étrave, tous taillés dans du bois d’olivier. Il est vrai que le Loud, ce bateau traditionnel de travail de 10,60 m de longs, avec ses deux mâts, nous vient de Tunisie.
C’est une grande satisfaction pour Sète, pour le chantier de la Plagette, pour « Voile latine de Sète et du Bassin de Thau » d’être reconnus par nos amis bretons qui s’investissent massivement pour leur patrimoine en nous confiant deux de leurs élèves. Alexandre et Vincent ont été adoptés par les bénévoles de l’association et seront toujours les bienvenus à Sète et à la Plagette.
Après avoir mesuré le loud dans tous les sens, nous avons utilisé le logiciel de dessin vectoriel « InDesign » afin d’établir le plan de charpente. Trois vues sont représentées : la vue de dessus dans un plan horizontal, les vues de profil et transversale dans des plans verticaux ( Top, Slide & Front ).
Pour chaque demi section les points ont été minutieusement reportés et la courbe de la coque a été lissée.
Les éléments de charpente y ont été placés.
Vue transversale où sur un même dessin figurent l’avant et l’arrière du bateau.
Arrivé à ce stade, il était aisé d’avoir tous les points du bateau en coordonnée x, y et z pour représenter le Loud en 3D. Pour cela nous avons utilisé un logiciel gratuit dédié à la conception des coques de bateaux, « JSDN Yacht Design ».
Nous avons positionné les 3 axes : X dans la longueur du bateau Y dans sa largeur Z dans sa hauteur L’origine étant située à l’intersection de la ligne de flottaison et du maître bau.
Après avoir mis les points dans le logiciel, on a en 3D la forme de la coque que l’on peut faire bouger dans tous les sens.
Ci dessous une vue en fausses couleurs qui met bien en valeur la forme profilée de la coque du Loud !
Ensuite on habille le bateau avec ses voiles et sa peinture pour le faire naviguer virtuellement à toutes les allures :
Au début du mois de janvier 2021 le Loud arrive sur le chantier de la Plagette avec un bordage en piteux état. Certains bordés disjoints pendent dans le vide !
Les balanes remontent jusqu’à la lisse, elles sont le témoin d’une immersion prolongée du bateau. Les bordés étant à nu, sans peinture protectrice ils ont été attaqués par des limnorias, sorte de petits crustacés qui perforent le bois de multiples galeries millimétriques. Le bois est attaqué localement sur toute son épaisseur et laisse des trous béants dans la coque.
Plus grave encore, on peut observer les dégats causés par les tarets ! Ce fameux mollusque qui dévore le bois des bateaux. Christophe Colomb, en son temps en avait fait les frais ! Dans ces conditions, nous n’aurons pas d’autres choix que de remplacer l’intégralité du bordage du Loud. C’est dans cette perspective que nous avons entrepris d’établir les plans de son bordage, et quelques vieilles photos vont nous renseigner sur la façon de procéder.
Petit lexique : Bordé : Plusieurs bordés mis bout à bout de l’avant à l’arrière du bateau, forment une virure. Adent : Désigne le bordé court, de forme triangulaire, également nommé dague, assemblé à un autre bordé pour le compléter en largeur. Ecart : jonction verticale de 2 bordés. Clore : le dernier bordé posé servant à clore la coque du bateau. Border à franc-bord : les virures sont assemblées bord à bord, leur jonctions seront calfatées.
Le Loud est bordé à franc-bord avec des planches en pin, larges de 150 mm, les plus grandes longueurs font 5,10 mètres.
Ce qui est remarquable c’est la muraille, la partie verticale de la coque, qui sur chaque bord est constituée par 3 virures disposées sous le liston, la plus base affleurant la ligne de flottaison. Toutes les autres virures se biseautent sous la muraille.
Le fond plat du bateau est fermé par 4 virures de chaque côté de la planche de quille, le galbord, le ribord et deux autres virures qui reviennent à la verticale sur l’étrave et sur l’étambot. Pour rattraper les largeurs aux retours de galbord des adents ont été nécessaires. À tribord il y en a un au dessus du galbord et un autre au dessus du ribord. À bâbord la répartition est différente !
Le bouchain, la partie la plus arrondie de la coque est fermée par 3 virures, chacune en pointe aux extrémités ajustées sur la base de la muraille. Sur chaque bord, à l’endroit le plus rond, on trouve un double adent relativement étroit qui fait office de clore, dernière virure à poser pour fermer la coque. À tribord il est au dessus de la denière virure de bouchain alors qu’ à bâbord elle est en dessous !
On peut remarquer que les deux côtés du bateau ne sont pas symétriques, mais on a pour chaque bord la même répartition en nombre des virures : 3 pour la muraille, 4 pour les fonds, et 3 pour le bouchain. De même on retrouve 2 adents à l’avant et et 2 à l’arrière ainsi qu’un double adent au bouchain. Seule leur largeur ou leur position peut être différente.
En ce qui concerne la distribution des écarts, la plupart d’entre eux sont en quinconce dans la partie centrale de la coque. Cependant du côté tribord on observe de la muraille au bouchain une distribution en escalier, ce qui n’est pas très conforme aux règles admises. Lors de la restauration du Loud il sera aisé de croiser les bordés différemment de façon à rétablir un équilibre.
Ces quelques photos prises au début de l’année 1994 à Kerkennah nous renseignent sur le déroulement des opérations pour placer les bordés.
Après avoir réalisé les ponts et le vaigrage ( bordés intérieurs du bateau qui renforcent les serres bauquières ) le bordage de la coque peut commencer. D’abord par la pose de la muraille sur chaque bord.
Pour ensuite fermer le fond du bateau en laissant un espace pour les adents à proximité de l’étrave et de l’étambot.
Encore la dernière virure de bouchain et les adents du côté de l’étrave à poser.
Reste à clore la coque au bouchain avec un double adent et à en placer un dernier du côté de l’étrave.
Les charpentiers ont fini par l’adent d’étrave au desus du galbord.
Pour la restauration du Loud nous aurons à respecter l’ordre adopté par les charpentiers de Kerkennah, à savoir commencer par la muraille, pour ensuite poser les fonds et finir par le bouchain. Il serait prudent de démonter les bordés et de les remonter au fur et à mesure pour préserver la rigidité de la coque.
Le plan de forme a été réalisé par Guy BROUET. Il a relevé les mesures du bateau de façon très précise et détaillée sur 17 profils transversaux répartis sur tout le long de la coque avec l’aide précieuse de Jacques et de Robert.
Il a transformé son salon en table à tracer pour dessiner les profils à l’échelle un. Plus de 250 heures ont été nécessaires pour réaliser ce travail !
Le plan de forme d’un loude n’avait jamais été fait auparavant, les charpentiers de Kerkennah travaillaient sans plan, ils se transmettaient de générations en générations les gabarits servant à fixer les formes du bateau. Il sera maintenant possible de tracer en grandeur nature toutes les membrures d’un loude et de garder ainsi la mémoire de ces bateaux.
Ci dessous nous pouvons voir une étape de la construction de notre Loud en 1994 à Sfax. Après avoir dressé la structure axiale sur le chantier, les charpentiers ont posé 4 membrures de part et d’autre du maître bau. On aperçoit un gabarit posé sur la quille. On remarque également que les charpentiers avaient tendu un cordeau entre les varangues et la quille en passant par les anguillers. La quille, l’étrave et l’étambot étaient alignées au cordeau.
Après avoir calé le Loud sur le chantier de la Plagette, nous nous sommes rendu compte que la quille présentait une flexure et n’était plus vraiment horizontale, le bateau était également légèrement vrillé, résultat de plus de 10 ans d’abandon sur les rives de l’étang de Salses dans de mauvaises conditions. En forçant un peu sur la coque tous les jours avec des étais, nous avons réussi au bout d’un mois à remettre l’étrave et l’étambot à la verticale.
Nous avons également réalisé le plan de charpente qui permet de visualiser la façon dont sont agencées les pièces de bois constituant le bateau. Ci dessous le plan de pont dans un plan horizontal.
L’ensemble des barrots
Une coupe longitudinale avec les membrures et le liston jaune qui fait office de préceinte.
Les membrures dans le plan horizontal
L’ étambrai constitué de fortes pièces de bois permet de fixer le mât sur la coque
a également fait l’objet de schémas côtés.
Quelques détails du plan de charpente
La réalisation du plan de charpente nous a permis de mieux comprendre les lignes du loud, en effet on peut remarquer que le sommet du pavois à l’arrière du bateau est sur une horizontale passant par le sommet de l’étrave, parallèle à la flottaison ! Que le tirant d’eau ne dépasse pas les 45 cm ! Que les ponts avant et arrière ne sont pas horizontaux et pas dans un même plan, il suivent la tonture du liston. Que le liston jaune est plus haut de 35 cm à l’avant qu’à l’arrière et qu’il accuse une légère tonture. Que la quille, l’étrave et l’étambot sont alignés sur une même droite non parallèle à la flottaison. Que le bateau est « en différence », c’est à dire que sa partie arrière est plus enfoncée dans l’eau que son avant, de 14 cm exactement !
Toutes ces observations seront bien sûr à faire valider par les charpentiers de Kerkennah, ce qui sera bien utile pour réécrire l’histoire de la construction d’un loude.
Ernest PUERTA a été inspiré par les lignes du Loud, voici quelques unes de ses photos très particulières. Les gros plans, l’emploi du Noir & Blanc mettent en valeur la matière brute du bois et des cordages. Les alignements de membrures, les courbes où jouent les ombres et la lumière nous plongent dans un monde un peu inquiétant ! Jonas dans le ventre de la baleine, passage obligé avant la résurrection !
Nous voulons réaliser un plan de forme et un plan de charpente pour garder la mémoire de ce type de bateau. A notre connaissance, ce travail n’avait jamais été fait, les charpentiers traditionnels tunisiens, comme ceux de nos côtes construisent leurs embarcations vernaculaires sur gabarits.
Nous avons commencé par tracer la flottaison avec de la peinture jaune et pour faciliter le relevé des formes de la coque, nous avons calé le bateau dans ses lignes, c’est à dire la ligne de flottaison à l’horizontale.
Guy s’y connait ! il va faire du travail soigné ! Il commence à prendre les mesures du livet par rapport à l’axe du bateau matérialisé par un cordeau.
Minutieux, il vérifie la verticalité de l’étambot.
puis de l’étrave.
Sur la demi coque, côté tribord, 17 profils verticaux ont été répartis et tracés à la craie.
Sur chaque demi section verticale cinq points seront mesurés pour dessiner la forme du profil. Pour chaque point on utilisera la méthode dite de triangulation bipolaire qui consiste à mesurer deux longueurs pour chaque point à partir de deux pôles situés sur une règle horizontale, avec le centre de la quille pour origine.
Astucieux Guy prend les longueurs avec une antenne télescopique récupérée sur un vieux poste de radio !
le tout est noté méticuleusement sur son carnet
Pour tracer les profils sur une feuille de papier, il suffit de reporter au compas les deux longueurs mesurées pour chaque point. Le point se situant à l’intersection des deux arcs de cercle !
De la théorie à la pratique, ce n’est pas toujours évident ! Il y a bien quelques ratés…, là un point aberrant ! Ce sera vite corrigé, le tracé se faisant au fur et à mesure du relevé.
Les points situés près de la quille sont particulièrement difficiles d’accès, et demande à notre opérateur un investissement sans faille !
Dans le même temps un croquis du pont avant a été réalisé, il nous aidera bien, car il faudra probablement démonter ce pont pour changer une partie de l’étambrai qui est pourrie.